Utilisation des drones par les forces de l’ordre

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Afin de contrôler les manifestations organisées pour la fête du travail le 1er mai dernier, certaines villes ont autorisé les forces de l’ordre à s’aider de drones. Malgré les recours déposés par plusieurs associations contre ces décisions, les tribunaux administratifs ont généralement validé ces dispositifs de surveillance. Tel a notamment été le cas des drones survolant les cortèges de la capitale.

Pas de quoi en faire tout un cinéma ? Peut-être… Si ce n’est que cette méthode (presque) inédite sera probablement monnaie courante dans les prochaines années. Selon le Préfet de police de Paris, les survols des manifestations n’étaient en effet qu’un « test » pour la gestion sécuritaire des Jeux Olympiques de Paris 2024[1].

FLASHBACK : la législation sur l’usage des drones par les forces de l’ordre

Durant le premier confinement, la Préfecture de police de Paris avait déjà utilisé des drones pour veiller au respect des règles instaurées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Le Conseil d’État avait toutefois suspendu cette décision, en ce qu’elle s’inscrivait en dehors de tout cadre juridique régissant la question[2].

 

La loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, récemment modifiée par la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, a permis de pallier ce vide juridique. Ces dispositions autorisent désormais certains services de maintien de l’ordre, de secours ou des douanes à recourir sous conditions à des « caméras installées sur des aéronefs, y compris sans personne à bord » – autrement dit des drones[3].

Durant ce processus législatif, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a eu l’occasion d’émettre plusieurs avis sur les modalités envisagées pour la mise en œuvre de ces appareils[4].

Mais l’application de ces textes était conditionnée à l’adoption d’un décret dédié, qui a finalement été adopté quelques semaines avant les manifestations du 1er mai, le 19 avril 2023[5].

 

 

L’intégration de cette nouvelle technologie dans les outils à disposition des forces de l’ordre n’est pas anodine compte tenu des risques qu’elle présente pour les droits et libertés des personnes concernées. Nous ne nous faisons pas de films : même les plus hautes instances le reconnaissent !

 

PAUSE : les risques liés à l’utilisation des drones par les forces de l’ordre

Interrogé sur la constitutionnalité de la loi du 24 janvier 2022, le Conseil Constitutionnel a souligné l’importance d’assortir l’utilisation de ces drones de garanties destinées à sauvegarder le droit au respect de la vie privée des citoyens français. Dans sa décision du 20 janvier 2022[6], il a rappelé la puissance de nuisance de ces appareils : « les drones sont capables de capter, en tout lieu, et sans que leur présence soit détectée, des images d’un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. ».

Afin d’éviter toutes dérives, le législateur a essayé de circonscrire l’utilisation de ces drones[7], notamment en :

  • Limitant les cas dans lesquels il est possible de les utiliser (en particulier pour la prévention d’actes de terrorisme, le secours aux personnes, assurer la sécurité des rassemblements dans des lieux publics, etc.) ;
  • Limitant les fonctionnalités de ces drones (les caméras ne peuvent capter aucun son – vivre le cinéma muet ! Elles ne peuvent pas non plus être équipées de dispositifs de traitements automatisés permettant une reconnaissance faciale, et ne doivent en principe jamais être orientées vers l’intérieur des domiciles privés, etc.) ;
  • Limitant dans le temps (les survols ne peuvent pas être permanents) et dans l’espace le recours à ces drones (en obligeant au préalable la délimitation d’une zone géographique d’intervention) ;
  • Conditionnant l’utilisation de ces drones à l’obtention d’une autorisation écrite et motivée du préfet;
  • Limitant la durée de conservation des images prises (en principe 7 jours maximum et 48 heures lorsqu’elles permettent exceptionnellement de visualiser l’intérieur de résidences privées, sauf à être transmises dans ces délais dans le cadre d’un signalement à l’autorité judiciaire)

 

 

PLAY : les recommandations de la CNIL

 

Déjà avant la promulgation de la loi, le Conseil constitutionnel avait émis plusieurs réserves sur sa constitutionnalité.

Quelques semaines avant l’adoption définitive du décret d’application du 19 avril 2023, la CNIL avait rendu un nouvel avis sur ces dispositions[8]. Contrairement aux précédents, cet avis a cette fois la valeur d’un acte réglementaire unique, ce qui signifie que les administrations souhaitant utiliser ces caméras devront, au préalable, formellement s’engager auprès de la Commission à respecter le cadre légal.

La délibération de la CNIL conforte malheureusement les craintes de l’équipe de RGPD-Experts : force est de constater qu’un flou certain demeure sur les conditions précises et pratiques d’utilisation de ces drones…

Alors que l’autorité régulatrice rappelle fréquemment aux responsables de traitement de ne pas recourir à des descriptifs génériques dans leurs documentations de conformité, la législation en vigueur est ici loin d’être limpide :

  • Ces appareils ne peuvent être utilisés que si cela est « strictement nécessaire à l’exercice des missions concernées et adapté au regard des circonstances de chaque intervention». Bien que le Conseil constitutionnel ait exigé de réserver l’usage des drones à « des cas précis et d’une particulière gravité », cette expression nébuleuse ne permet pas de savoir concrètement dans quelles situations ces mesures peuvent être déployées …
  • Selon quels critères distinguer les cas dans lesquels une simple captation des images en direct suffira, de celles dans lesquels un enregistrement s’imposera ?
  • Quelles sont en réalité les «circonstances d’intervention» justifiant que les drones puissent continuer à filmer, à titre exceptionnel, alors même que l’intérieur de domiciles privés serait visible ?
  • Comment les forces de l’ordre envisagent-elles d’informer les personnes concernées qu’elles sont susceptibles d’être filmées, ainsi que de leurs droits en matière de protection des données personnelles ? La CNIL incite le gouvernement à clarifier l’information du public en général, mais surtout des potentielles cibles des caméras, par l’instauration de dispositifs sonores ou physiques dans les périmètres couverts par les drones.
  • Comment s’assurer du respect des mesures de sécurité destinées à garantir l’anonymisation et l’intégrité des données collectées (chiffrement, horodatage et assignation d’un « tatouage numérique » des flux de vidéo, sécurisation des sauvegardes, etc.) ?

 

Nous espérons que ces questions sans réponses ne seront pas à l’origine d’un scénario catastrophe pour l’avenir, digne d’un film de science-fiction !

Si les ministères ont indiqué à l’autorité de contrôle qu’ils ne pouvaient pas préciser dans le décret les critères objectifs sur lesquels ils se fonderont pour respecter ces règles, compte tenu de la diversité des situations opérationnelles auxquelles les forces de sécurité sont confrontées, ils certifient que ces explications seront rapportées plus en détail dans les doctrines d’emploi qu’ils envisagent d’adresser aux services concernés. Doctrines qui n’auront, elles, aucune valeur contraignante…

Nous n’en sommes donc qu’aux prémices de cette longue saga sur les questions soulevées par l’utilisation des drones par la police et la gendarmerie nationale en matière de protection des données personnelles.

La pratique et la jurisprudence à venir devront probablement combler les silences de la loi…

* * *

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L.H

[1] FranceInfo, « Drones pendant les manifestations du 1er mai », le 2 mai 2023 : https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/drones-pendant-les-manifestations-du-1er-mai-une-sorte-de-test-en-vue-des-jeux-olympiques-de-2024-explique-le-prefet-de-police-de-paris_5802956.html

[2] Conseil d’État, juge des référés, 18 mai 2020, 440442.

[3] La loi vise également les dispositifs embarqués dans d’autres aéronefs (avions, hélicoptères, etc.). Pour rappel, des règles spécifiques encadrent l’utilisation des drones à titre privé. Elles diffèrent selon leur date de conception, leur catégorie et leur poids.

[4] Délibération n°2021-011 du 26 janvier 2021 et délibération n°2021-078 du 08 juillet 2021.

[5] Décret n°2023-283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative.

[6] Conseil Constitutionnel, décision n°2021-834 du 20 janvier 2022, Communiqué de presse : https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2021-834-dc-du-20-janvier-2022-communique-de-presse

[7] Articles L242-1 et suivants du Code de la Sécurité intérieure.

[8] Délibération n°2023-027 du 16 mars 2023 portant avis sur un projet de décret portant application des articles L.242-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047465509

 

 

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